dimanche 10 août 2008

Il existe des objets très particuliers.




En mai 2007, un ami peintre, sorti avec sa prof, vit celle-ci lui montrer un cep se dressant seul dans une vigne complètement arrachée. Pierre le sortit de terre difficilement et me confia ce bois.
Pendant plus d’un an, j’ai regardé ce cep. Le fait que la forme humaine y était tellement évidente ne m’entraînait pas à me mettre à l’ouvrage pour lui donner une « deuxième vie » comme j’ai coutume de dire des bois trouvés que je retravaille.

Sachant que l’exposition de la Palette des Arts à Eymet débutait le 14 juillet, fin mai 2008, je me mis à réfléchir, à tourner, retourner ce cep ; je traînais mais finis par m’atteler à nettoyer, poncer, ciseler… Petit à petit le plaisir me vint : un coup de scie par-ci, par-là. Je marquai deux jambes, ajoutai des pieds, mis en évidence les muscles des bras, donnai forme aux omoplates, creusai le dos, modelai le fessier, montrai nettement des moignons aux extrémités des bras… Le monstre était né. La "Supplique" était parlante.
Alors me vint l’idée d’utiliser un morceau de marbre blanc ramené de Carrare en septembre 2007. C’était ma première expérience de travail sur cette noble pierre. J’y façonnai des vaguelettes, des mouvements rappelant les formes ondulantes du bois achevé. Puis je perçai le marbre et les pieds du monstre pour le clouer à la pierre et le coller.
L’œuvre fut prête le 10 juillet 2008 et le 14, je l’exposai à Eymet.
Tous les amis exposants ont immédiatement apprécié cette "Supplique" d’autant qu’elle trônait face à la porte d’entrée de la salle d’exposition, juste au milieu de celle-ci.
Le 17 juillet une dame m’a appelé sur mon portable; elle voulait acheter. Nous prîmes rendez-vous pour le dimanche 20, jour de notre permanence.
Ce jour-là, les visiteurs intéressés par les œuvres exposées par les adhérents de notre association furent légion. Deux couples de belges furent attirés par les toiles de Maryse (en particulier le « Nu bleu » réalisé avec de la sciure entre autre). Maryse conversa longtemps avant de montrer ce que je faisais. L’un des deux messieurs était plus attiré par le bois ; le miroir que j'avais présenté lui plaisait, mais ce qui le scotchait, c’était le "monstre mythique" et le texte écrit par Maryse l’interpella.

Supplique.

Et le monstre mythique,
Implorant de ses moignons disgracieux
Un ciel sans pitié et sans amour,
Se dresse dans le vide.
D’un espoir éperdu
Il hurle son désarroi
Vers les nues infinies,
Ne recevant pour tout retour
Qu’un silence effroyable,
Toujours seul, il sera
Toujours incompris, il restera.


Ce curieux avait lui même l’âme de sculpteur. Les deux couples continuèrent leur visite.
La vieille dame vint ; je la vis tourner autour de la sculpture, la caresser, s’avancer, reculer, caresser de nouveau. Elle bavait d’envie. Sa fille qui s’était assise la regardait avec un sourire bienveillant. Je m’approchai, nous discutâmes quelques instants. Je lui proposai de payer en trois fois. Mais la somme lui était trop difficile à supporter. J’en étais tout retourné. Elle fit encore un tour du présentoir avec des regards tentés puis elle partit en disant qu’elle reviendrait.
Je retournai à la table et un moment après, les quatre belges étaient revenus autour de « Supplique ».
Je vins à eux. L’amateur se montra très intéressé et fit tout pour que son épouse dise son désir de le voir acquérir la sculpture. La fille de ce couple vivait maritalement avec un homme habitant Desvres (Pas-de-Calais).
Il est très agréable de savoir que l’on apporte un bonheur particulier à quelqu’un. De voir cet homme emporter « mon œuvre » en la calant contre sa poitrine me fit un certain pincement au cœur. Mais d’entendre l’amoureux, comprenant bien qu’il me coûtait de la quitter, me dire et me répéter que jamais il ne se séparerait d’elle me ragaillardit.

Ainsi, ce cep, m’a été offert par un ami qui le découvrit par hasard un jour où il fut le seul à suivre le cours proposé par la prof de peinture.
Un bloc de marbre blanc ramené de Carrare s’adapta parfaitement.
Maryse sentit la probabilité de sa vente ce matin-là.
Pour ne pas manquer l’heure d’ouverture, nous avions dormi en caravane au camping d’Eymet.
Un couple de touristes belges qui devait descendre en avion jusqu’à Bergerac pour rejoindre sa famille vit son vol annulé sans prévis par Raynair. Ils décidèrent de venir en voiture. Sans cela il leur aurait été impossible d’emporter « le Monstre mythique » qui n’aurait pas loger dans l’avion.
Qui plus est, « Supplique » est parti habiter l’ "Allée des Poètes" à TUBIZE (Belgique)
Quels concours de circonstances !
Il semble que ce cep devait suivre ce chemin.
Les objets ont une âme.

Jacques Legrand
Le 21 juillet 2008

De fil en aiguille



Le 10 août 2008, nous n’étions vraiment pas chauds pour aller exposer nos réalisations à St Georges de Montclar, déçus du peu de curieux les jours précédents à Eymet, Bergerac et Miramont.
Nous sommes arrivés à 10h10. Pratiquement aucun visiteur ne s’était présenté à ce moment là.
La matinée fut des plus calmes.
L’après-midi vit très peu de passage au grand désarroi de tous les exposants. Pas de vente, pas de conversation avec les quelques badauds.
Je fis une longue sieste sur mon pliant, à l’ombre, derrière les tableaux de Maryse. Je terminai deux mots-croisés.
Soudain, je sentis que là-bas, sous la halle, quelqu’un prenait une de mes sculptures en main. J’adore quand cela arrive ; c’est que la personne a la même sensibilité que moi au toucher de la matière.
Je me suis approché et j’ai discuté. La personne exprima bien l’idée qu’elle avait besoin de toucher les sculptures. Plusieurs la tentaient , en particulier celles représentant des têtes (« Calme », « Antique », « Bacchus ») et le mouvement du bois de « On y va ».
Elle revint sur l’albâtre « Calme » (à la manière de Brancusi), en demanda le prix.
Je montrai la translucidité de la pièce en la présentant devant un rayon de soleil qui fit bien apparaître les ombres des yeux et du nez.
Le couple partit en disant : « Nous faisons un tour et nous repasserons ! » On n’y croit toujours qu’à peine à cette formule.
Mais la dame revint assez vite pour dire : « Nous prenons cette sculpture. »
Comme elle réglait en chèque, je dis ma satisfaction car j’aurais ainsi l’adresse, aimant savoir où « vivaient » mes réalisations après que je m’en sépare.
Ce couple avec une fille vivait à la Réunion depuis plus de vingt ans. Je dis qu’un neveu y travaillait également, qu’il se nommait Neufcourt et qu’il était prof de math.
La fille tressauta : « C’est mon prof ! »… Incroyable.
J’interpellai alors nos amis Suzette et Rolland Conreur réunionnais pur sang. Ils étaient ravis de parler du pays et de mots en mots, il s’avéra que ces gens connaissaient parfaitement leur fille, qu’ils l’avaient côtoyée dans leur travail.
Ce monde est si petit !
"Calme" vivra donc à la Réunion.
Les objets semblent vouloir réunir les individus.

Ainsi nous ne devions pas venir à St Georges, une seule personne de toute la journée s’est intéressée de près à mon travail, elle a acheté et, de plus, des rapprochements relationnels ont pu se découvrir.